Maryse Dumas : "La CGT est toujours jeune des espoirs qui l'ont fait naître"

Entretien réalisé par Yves Housson
Mardi, 3 Mars, 2015


Animatrice du comité de pilotage des 120 ans de la CGT, Maryse Dumas détaille le programme et précise le sens de l’événement.
La CGT célèbre cette année le 120ème anniversaire de sa fondation, en septembre 1895, à Limoges. Un événement marqué par une série d’initiatives qui ponctueront l’année, et dont le coup d’envoi est donné ce soir, à 17 heures, avec l’inauguration d’une grande exposition, au siège du syndicat, à Montreuil, en présence du secrétaire général, Philippe Martinez. Animatrice du comité de pilotage de l’anniversaire, Maryse Dumas, ancienne dirigeante confédérale, répond à nos questions.
Quels sens donnez-vous à ce 120ème anniversaire, qui intervient dans un contexte de lourds défis, pour le syndicalisme en général et la CGT en particulier ?
Maryse Dumas. Nous partons de l’idée que la CGT est toujours jeune des espoirs qui l’ont fait naître il y a 120 ans. Quels sont ces espoirs ? L’idée de construire une société dans laquelle ceux qui vivent de leur travail puisent avoir une place reconnue, digne, et dans laquelle on puisse vivre correctement de son travail, et une société solidaire, fraternelle, ouverte vers les autres, et capable de faire du respect des différences une richesse. Nous pensons que ces valeurs sont très modernes, et que nous ressourcer sur ces valeurs nous permet d’affronter les défis nouveaux.
Dans le monde d’aujourd’hui, on entend beaucoup que le syndicalisme serait en perte de vitesse, ou condamné. Qu’il soit en difficulté, c’est évident. La raison de ces difficultés, elle touche en premier lieu à une société qui développe la concurrence entre les personnes, le libéralisme à tout crin, la soif de toujours plus d’argent pour les détenteurs des puissances financières, qui se fait en écrasant le travail, en brimant les personnes et leurs aspirations. Et on voit bien que cette société ne peut aller très loin. Or, précisément, le syndicalisme a pour ressort d’unir les salariés, à partir de leur situation, plutôt qu’à partir de leur vision ou de leur engagement politique. Et, à partir de la connaissance de ces situations, il ambitionne de construire des actions au quotidien comme des actions de grande ampleur, permettant de changer les choses de façon à la fois progressive et très fondamentale. Autour des 120 ans de la CGT, ce qu’on veut imprimer, c’est l’idée que l’on peut d‘autant plus affronter les défis qui sont devant nous, que l’on saura puiser dans les 120 ans qui nous précèdent- voire plus puisqu’une bonne partie de l’histoire de la CGT s’explique aussi par la Révolution française et les différentes révolutions du 19ème siècle.
 
Regarder l’histoire, dites-vous. Mais le besoin d’innover n’est-il pas moins impérieux ?
Maryse Dumas. L’histoire démontre que la CGT n’a pas arrêté d’innover. Elle a su, par exemple, inventer la revendication de la journée des 8 h. ou celle des congés payés, alors que les ouvriers n’arrivaient pas à imaginer qu’un patron puisse les payer en n’étant pas au travail. La CGT a su inventer l’idée de convention collective, de Sécurité sociale, les comités d’entreprise, et les formes permettant aux salariés d’accéder à la culture, aux loisirs, au sport. II faut aussi aujourd’hui que la CGT invente. Ce qu’on attend d’elle, par exemple, c’est qu’elle invente des garanties sociales correspondant au monde précaire d’aujourd’hui,- ce qu’elle essaye de faire avec sa proposition de nouveau statut du travail salarié, et de sécurité sociale professionnelle. De nouvelles formes de démocratie aussi : la CGT travaille des propositions pour qu’on ne s’en tienne pas à une démocratie politique reposant sur le bulletin de vote, mais qu’on ait aussi des formes de démocratie sociale associant les salariés, et en particulier les plus fragiles d’entre eux, qui sont aussi les plus exclus des formes de démocratie politique que nous connaissons aujourd’hui –salariés précaires, demandeurs d’emploi, ouvriers, employés dont on voit qu’ils s’abstiennent massivement dans les élections politiques, et dont nous, nous pensons que, par des innovations en terme de démocratie sociale, ils pourraient se réinsérer dans des formes de démocratie correspondant à leurs attentes. Innover, c’est aussi inventer de nouvelles façons de produire, permettant à la fois à la créativité des salariés de s’exprimer dans le travail et en même temps de poser les enjeux de respect de l’environnement, de développement humain durable. C’est sur toutes ces questions que la CGT veut et peut innover. C’est en affrontant ça qu’elle sera à la hauteur. C’est pourquoi, pour nous, fêter les 120 ans, ce n’est pas sortir les chrysanthèmes, mais au contraire se dire que 120 ans, c’est un début dans l’histoire de la CGT. 
 
Quel est le programme de cet anniversaire ?
Maryse Dumas. Chaque mois, par des colloques, conférences, initiatives culturelles, sportives, etc, on va illustrer une des dimensions de l’activité syndicale de la CGT. En mars, après les comités d’entreprise, dont c’est le 70ème anniversaire, on travaillera les questions de l’émancipation des femmes, du rapport historique, contrasté selon les périodes, de la CGT avec la question du travail des femmes. Début avril, ce sera un travail sur les questions industrielles : le rapport de la CGT a l’industrie a toujours été important, aujourd’hui on veut construire un nouveau modèle productif. En mai, ce sera la solidarité internationale, avec les dimensions 1er mai mais aussi 8 mai, avec les 70 ans de la capitulation des armées nazies.
 
En juin, on travaillera l’évolution des rapports entre syndicalisme et territoires, avec deux initiatives phares en Seine-Saint-denis et dans le Gers : l’une sur les territoires urbains en pleine évolution, l’autre sur la ruralité. Au passage, nous aurons la dimension culturelle de l’activité syndicale, avec les festivals de Cannes, d’Avignon, tous les festivals de l’été, le Tour de France : on traitera là le rapport de la CGT avec tout le hors-travail, mais aussi le travail dans le hors-travail puisque, pour que le hors-travail existe, il faut que des gens travaillent. 
 
En septembre, il y aura le forum social de la Fête de l’Humanité, où nous serons très présents, et nous aurons le congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES) à Paris, occasion de mettre en exergue à la fois l’engagement européen de la CGT et, à l’adresse de nos collègues syndicalistes d’Europe, de mettre en évidence les spécificités du syndicalisme français. En octobre, nous aurons à Limoges une grande initiative permettant de revisiter l’acte fondateur de la CGT, autour des questions de la confédéralisation, qui consiste à créer de la solidarité là où il y a de la concurrence, à ne pas s’en ternir à un syndicalisme corporatif, mais à avoir un vrai syndicalisme de transformation sociale. Ce qui implique d’avoir une confédération présente dans toutes les professions, les territoires, et qui sache allier une présence sur les revendications particulières en même temps qu’une visée émancipatrice.
 
En octobre, on intègrera aussi le 70ème anniversaire de la création de la Sécurité sociale, en même temps que les luttes revendicatives qui ne manqueront pas d’être organisées lors du projet de loi de financement de la Sécu. Il sera important que la CGT soit présente et active pour montrer la modernité de la Sécu et avancer des pistes nouvelles pour qu’elle continue à protéger les salariés et leur assurer l’accès au meilleur système de santé possible. 
 
En novembre, on travaillera la question des bourses du travail, dans leur histoire : l’origine des bourses, c’est la solidarité entre travailleurs pour permettre à ceux qui n’ont pas de travail d’en trouver, mais les bourses ce sont aussi des lieux, une histoire de rapports à la culture, à l’éducation populaire ; nous essaierons de montrer la richesse de ce patrimoine mobilier, culturel et de solidarité, et d’en faire un moment d’exigence pour que les locaux actuels soient préservés, car ils sont menacés souvent, et pour en conquérir de nouveaux là où se trouvent les nouveaux lieux de travail des salariés. En décembre, autour de la manif annuelle des chômeurs sur la question de la prime de Noêl, nous reviendrons sur la façon dont la CGT s’est organisée, et doit améliorer son organisation pour les chômeurs.
Et nous terminerons par une grande initiative qui tracera les perspectives, notamment pour l’année 2016, où se tiendra le 51ème congrès de la CGT.
 

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