A l’occasion des 120 ans de la CGT, l’historien Stéphane Sirot évoque l’avenir du syndicalisme

« S’interroger sur le lien avec la base »

Quel avenir pour le syndicalisme façon CGT ? Alors que la Confédération générale du travail (CGT) fête les 120 ans de son congrès constitutif, organisé à Limoges, la question parcourt jusqu’aux instances dirigeantes du syndicat. Membre du conseil scientifique de l’Institut d’histoire sociale de la CGT, l’historien Stéphane Sirot interviendra sur cette question, lors des célébrations de cet anniversaire, qui se dérouleront du 12 au 15 octobre, dans la capitale limousine.
« Les organisations syndicales, la CGT en particulier, arrivent à un moment où elles doivent se poser des questions », estime-t-il.
Lors des célébrations des 120 ans de la CGT, vous interviendrez sur l’institutionnalisation du syndicalisme. Pouvez-vous expliquer ce phénomène ?
C’est un thème que la direction de la CGT, en particulier Philippe Martinez, veut intégrer au prochain congrès qui se déroulera l’année prochaine. Au sens sociologique du terme, le syndicat est une institution, mais l’institutionnalisation, c’est ce qui l’a conduit, depuis le début, à être intégré à l’ordre politique et économique. Longtemps, la CGT a porté un projet de société que ses syndiqués qualifiaient volontiers de révolutionnaire.
Mais à partir des lois Auroux, (dans les années 1980, NDLR) le mouvement syndical s’est orienté vers une fonction institutionnelle, de dialogue social et de rencontre avec les pouvoirs publics. Cela a eu un effet néfaste  : le syndicat est moins présent sur le lieu de travail et moins tourné vers la création de mouvement social et de revendications.
Cela explique-t-il la faiblesse du taux de syndicalisation en France ?
Aujourd’hui, les organisations syndicales sont davantage insérées dans les sphères de pouvoir. Ça porte le risque de creuser les hiatus entre le monde du travail et ceux qui sont censés le représenter. Ce phénomène est aujourd’hui à un point assez avancé. Il faut remonter au XIX e siècle pour trouver en France un taux de syndicalisation aussi faible. Le syndicalisme doit davantage s’interroger sur son lien avec la base des salariés.
Récemment, le rapport Combrexelle préconisait le déplacement du lieu de négociations vers l’entreprise. Quel est l’impact sur le syndicalisme ?
On a déjà connu un premier tournant en ce sens lors du premier septennat de François Mitterrand, avec les lois Auroux. C’est difficile pour les entreprises de refuser de négocier, c’est une question difficile à appréhender. Le rapport Combrexelle veut accélérer ce mouvement, qui est déjà très vif. Dans les années 1970, il y avait à peine quelques centaines d’accord d’entreprises par an ; il y en a entre 35 et 40.000 aujourd’hui. Il y a bien eu une mutation très nette.
Ce mouvement s’est accompagné de la possibilité pour les entreprises de déroger aux normes supérieures. Certains syndicats, des gouvernements y voient une bonne chose. Moi, j’y vois un risque : déporter les salariés vers des conditions de travail moins bonnes.
Cela ne va-t-il pas à l’encontre de l’idéal qui a présidé à la naissance de la CGT, à savoir une amélioration des conditions de vie de tous les salariés ?
Les organisations syndicales se sont construites sur les luttes collectives, dans le cadre d’un processus unificateur. Mais à la faveur de la mondialisation, de l’idéologie libérale, on assiste à la déconstruction du salariat. Elle est déjà bien avancée et pose problème aux syndicats, plus à l’aise avec les travailleurs intégrés. Mais aujourd’hui, ils doivent gérer les fonctionnaires, les précaires, les jeunes et même une forme de salariat déguisé, comme les auto-entrepreneurs.
C’est un véritable éclatement du monde du travail.
Le fait est entendu : les syndicats doivent faire leur aggiornamento. Mais dans quelle direction ? Le syndicalisme allemand ou scandinave peut-il être un modèle ?
Le syndicalisme scandinave est étranger à la tradition française. C’est un syndicalisme de services. Une anecdote : on parle là-bas non de syndiqués mais d’affiliés, ce qui est totalement étranger au vocabulaire français
C’est la même chose pour le syndicalisme allemand. Deux questions se posent aux syndicats  : la désinstitutionnalisation et la repolitisation. Il ne s’agit pas de recréer un lien entre les syndicats et un parti, comme ça a pu exister entre la CGT et le PC, mais de remettre le syndicalisme sur les rails d’un projet de société.
En s’orientant vers un syndicalisme de cogestion et d’accompagnement, les syndicats ont été identifiés à la sphère du pouvoir. À partir de là, c’est difficile d’attirer des adhérents. Ça a pourtant été une force des syndicats : penser la vie de la cité. Il faut que ça le devienne à nouveau.

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